Studio Kami-Kami

Dans un monde où l'on ne trouve plus le moindre hangar à transformer en loft de luxe, un homme revendique son droit à l'identité...
Eky relève lourdement son crâne (quasiment collé à la planche à dessin, une désagréable manie de travail), contemple quelques secondes la planche qu'il a fini d'encrer au bout de quatre heures à suer sang et eau, étire ses bras derrière lui dans une grâce bizarrement simiesque, baille à s'en décrocher la machoire et s'écrie :
"ZAI FINIIIIIII ! ET JE SUIS MOOOOORT !"
Sous le regard de consternation de son co-équipier, Uro, chargé lui d'encrer la planche précédente, Eky s'affale sur sa chaise de dessinateur et pousse un râle de soulagement. Uro le dévisage avec désapprobation, très occupé à finir lui aussi d'encrer les pages du "boss" Hideyoshi.
"Eky, t'en fais un peu trop là...
_ Frustré ! C'est pas parce que tu n'as pas fini le boulot d'aujourd'hui que tu dois m'empêcher d'exprimer ma satisfaction... Je mets les planches sous enveloppe pour les envoyer au boss, tu mettras les tiennes quand t'auras fini.
_ Quoi ? Ca sous-entend que c'est MOI qui vais me taper l'envoi par la poste.
_ Et l'achat des timbres !
_ Tu es la sangsue la plus immonde que j'ai jamais rencontrée...
_ Dernier arrivé, dernier servi, vieux. Tu n'auras qu'à te presser la prochaine fois que tu auras envie de flemmarder autant que moi..."
Maugréant, Uro retourne à son encrage pendant qu'Eky se balade vaguement dans la pièce.
"C'est décidé, ce soir, je sors ! Tu viendras ?
_ Quoi ? Des boîtes d'étudiants ? Tu sais très bien qu'on est trop vieux pour ça...
_ Meuh non ! Les nanas adoooorent les mangaka !
_ Primo, on n'est pas des mangakas mais les assistants d'un mangaka. Secundo, cette profession a le plus haut taux de divorce et le plus bas taux de mariage de toutes les catégories socio-professionnelles.
_ Attends, forcément, avec des noms d'entreprise pareils... Kami-kami, jamais rien entendu d'aussi pourri comme nom de studio... En plus ça veut dire !
_ Si ! "Kami" peut dire indifféremment "Dieu" ou "Papier..." Les mangaka sont les dieux du papier, non ?
_ C'est ça, dans notre cas des dieux du papier avec un nom de studio pourrave.
_ Eky... Si tu louais un cerveau ?"
Le dit Eky n'a pas le temps de répondre ; son portable sonne et une voix retentit à l'autre bout du fil :
"Allo, ouais ?"

Eky reste quelques secondes sans dire mot, avant de raccrocher brutalement.
"Pffff... Y'avait personne. Sûrement un gosse qui a pris un numéro au hasard... Mon Dieu que je hais les gosses !
_ T'en as pas déjà été un ?
_ Quelle perspective ridicule... Bon, je me caaaaasse ! Amuse-toi avec les timbres !"
Sans lui laisser le temps de répondre, Eky prend son blouson et claque la porte du studio pour se rendre dans un autre coin d'Akihabara.